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Je n'ai pas gardé beaucoup de souvenirs des cours de philosophie dispensés en Terminale (1988-1989), à part une vieille édition jaunie de La métaphysique des mœurs de Kant et quelques vagues fantasmes impliquant une jeune professeure beaucoup trop jolie pour que mes hormones de jeune mâle ne prennent le pouvoir au détriment de mes neurones pré-estudiantins.
Ce qui est dommage, car la philosophie a toujours constitué une lacune dans ce vaste amalgame de savoirs, pour la plupart inutiles, qui me fait office de cerveau. Tellement vaste que j'ai coutume de dire que je n'ai jamais perdu au Trivial Poursuite : ce n'est que forfanterie puisqu'il m'est arrivé de perdre, principalement à cause de questions portant sur le sport et le cinéma français.
Ces deux premières heures de cours de la semaine, qui auraient dû dès le lundi matin combler en moi une soif de sagesse que je n'éprouvais pas encore à l'époque, n'ont donc pas posé les saines fondations d'une tentative de rendre ce monde intelligible, ni produit une connaissance des travaux des nombreux brillants esprits qui ont pensé pour nous pendant des siècles, pour nous autres plébéiens du réel.
Il a fallu que un accident de moto (2016), pour que la philosophie se fraye sournoisement un chemin jusqu'à moi. Allongé pendant plus d'un mois avec les jambes brisées, trop fatigué et médiqué pour tenir un livre, trop blasé pour regarder la télévision, c'est donc France Culture qui m'a tenu compagnie durant ce qui m'a semblé être une interminable attente.
J'aime quand un média est une source de savoir, quand un media est utile, c'est d'ailleurs pour cela que j'ai depuis longtemps délaissé la plupart des canaux mainstream.
À l'époque Michel Onfray sévissait sur ces ondes. J'ai écouté ses conférences en boucle, pendant des heures et des heures, fouillant dans les archives de France Culture pour en trouver un maximum. Par la suite j'ai appris à me distancier des discours du nietzschéen normand -surtout ces derniers temps-, mais à ce moment précis de ma vie, sa Contre-histoire de la philosophie et sa façon de la narrer ont suscité en moi un appétit philosophique que je ne me connaissais pas.
Onfray, nonobstant la polarisation de certains de ses textes, est un excellent conteur. Son parcours, sa biographie, véritable chemin de croix (!), combat et drame à la fois, m'ont un temps rendu le personnage aimable, voire admirable : le piège du storytelling, peut-être.
J'ai tout de suite accroché à cet athéisme militant, parfois outrancier, dans lequel je reconnaissais certaines de mes convictions. J'ai apprécié son côté libertaire aussi, même si son discours a vite montré ses limites, dans certains de ses engagements assez questionnables ainsi que dans sa perte totale de contrôle concernant son rapport à la présidence française.
Il aurait été logique qu'il condamne avec toute sa véhémence habituelle le mouvement des gilets jaunes, crise paroxystique de l'individualisme petit bourgeois occidental, exact inverse des valeurs libertaires qu'il a toujours défendu : au lieu de cela il a rejoint la meute opportuniste des populistes pour l'encenser. Lui qui prônait la "vie philosophique" a ponctuellement montré une remarquable incapacité à l'amour de la sagesse.
Il n'en reste pas moins que Onfray m'a donné le gout de lire Nietzche, Sénèque, Marc Aurèle, Thoreau, et de relire Camus. Certaines de ses conférences dans le cadre de l'Université Populaire de Caen (qu'il a fondé) sont de véritables bijoux, comme celle intitulée "Miroir brisé de la tauromachie" (2017) et de nombreuses autres dans le cadre de sa Brève encyclopédie du monde. Il m'a aussi donné l'envie de le lire, lui, c'est en effet un stakhanoviste de la plume avec une centaine d'ouvrages à son actif. Mais j'ai cessé d'acheter ses livres quand ils se sont réduits pour certains à de tristes pamphlets populistes.
J'ai fait ce dessin alors que mon admiration pour lui allait bientôt décliner. "Traité d'athéologie" est le titre de l'un de ses livres, l'un de ses premiers textes que j'ai lu, que j'ai aimé. Comme une sorte de parallèle avec cette théorie de la mortalité des religions qu'il aime tant défendre, l'ironie a voulu que le culte -relatif- que je lui vouais est mort lui aussi. Au moins sur ce point il avait raison, ce qui justifie aussi ce clin d'œil.
Mais ce n'est qu'un dessin...
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